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Quelques extraits de romans

 

 

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Complices obscurs
 

Toussaint avait garé son véhicule 4X4 devant une bergerie haute désertée par les troupeaux redescendus sur Corte, en cette période froide de l’année. Après une demi-heure de montée sur un petit dénivelé et une courte escalade sans difficulté, il avait conduit Mathieu sur un des lieux de leurs jeux d’enfants, un plateau creusé d’une large cuvette d’eau pure : le lac de Mélo.

 

Tous les deux s’étaient assis sur des pierres plates immobilisées à mi – pente, pour les randonneurs fatigués et assoiffés, près d’une des multiples sources nées au hasard des galops de Pégase. Des bouffées de brume remontaient du lac vers eux, les enveloppant comme des fumées mystérieuses qui les faisaient dispa- raître et réapparaître par magie. Le soleil s’éclipsait lentement derrière les crêtes rocheuses qui étendaient leurs ombres comme un glacis de Sépia sur ce paysage d’aquarelle. Les couleurs perdaient peu à peu la lumière de la gomme-gutte ; et, peu à peu, les mille nuances végétales semblaient couler vers le lac qui les engloutissait sous un ciel céruléen virant aux violets troubles en se mélangeant au rouge du couchant.

Isolés dans cette tranquillité surna-  turelle, et encore nimbés par les derniers rayons de soleil, les deux hommes pouvaient partager leurs secrets comme  leurs souvenirs d’enfants. C’était Toussaint qui amena leur conversation sur un passé proche :

  • Je dois te dire merci pour tout ce que tu as fait pour Jacques, dit-il.

  • Tu n’as aucun remerciement à me faire. Ton frère est mort et je n’ai pu l’empêcher, constata tristement le Flicorse.

  • Tu as fait tout ce que tu pouvais et, si Jacques t’avait obéi, il serait encore vivant. Je te suis d’autant plus redevable que j’ai agi dans ton dos et je me suis trompé…

  • Je crois comprendre ce que tu veux m’avouer : l’attentat à l’explosif contre le capitaine Tonnot, c’était toi ?

L'heure des vêpres à Sorbello

 

Me voilà installé avec un codétenu. La cellule que j’ai quittée était luxueuse par rapport à ce réduit insalubre. J’ai récupéré mes affaires après la fouille et les formalités d’entrée. Je suis moins à l’aise pour écrire. Mon codétenu est un jeune maghrébin. Il m’a laissé le lit du bas et se montre amical. Je me méfie tout de même car j’ai l’impression qu’il m’attendait. Il sait qui je suis, d’où je viens et pourquoi je suis là…

Je me suis arrêté d’écrire pour en savoir plus sur lui. Devant ma méfiance, il lâche le morceau. Il y a un contrat sur moi mais il est de mon côté. Un certain Momo que je ne connais pas aurait sonné l’alarme et une équipe de voyous maghrébins va assurer ma protection. Je ne sais pas quoi penser. Mon colocataire n’en sait pas plus. Il a pour instructions de ne pas me laisser seul et il sera payé pour ce travail. Je n’en reviens pas. Je suis dans un univers inconnu. Il va falloir que j’apprenne ses codes. J’ai déjà compris qu’il est impitoyable. A cet instant, je repense à des inscriptions racistes visibles sur des murs en Corse. « Arabi fora ! » Malheureusement, d’anciens amis nationalistes traînent derrière eux leur passé d’extrême-droite. Les plus vieux avaient milité dans des mouvements fascistes et avaient été partisans de l’Algérie française. Curieusement, ils ne veulent plus aujourd’hui que la Corse reste française. Ils ont tout fait pour que les indépendantistes de gauche soient marginalisés. Pour eux, être socialiste c’est déjà du gauchisme dangereux. Alors on peut imaginer ce qu’ils pensent de l’extrême-gauche. Ils en sont de farouches adversaires. Cela ne déplaît pas aux affairistes qu’ils côtoient ou que certains sont devenus. Je ne suis pas le seul à avoir perdu mes illusions sur une nation corse unie et solidaire. Samuel Romani, militant sincère, a dit ce que plusieurs d’entre nous ont dans leurs cœurs : « Depuis un siècle, le monde global a accentué les phénomènes d’assimilation. Quelques dizaines d’années ont suffi pour anéantir ce qui subsistait de ce petit peuple. C’est ce temps que j’ai sacrifié, avec d’autres, à la « nation corse », une virtualité qui a rendu virtuelles nos vies elles-mêmes. Nous sommes devenus aussi légers, aussi inconsistants que nos rêves. » Des amis y ont laissé leurs vies et d’autres leurs libertés. J’avais cru trouver la paix en moi lorsque je me suis installé définitivement à Sorbellu. Je m’aperçois que j’y ai vécu comme l’Ultimu, le dernier Corse dans un désert humain. Aujourd’hui, je n’ai plus un instant de réelle solitude dans les geôles de la République française. Je suis embastillé par la faute d’une bande de voyous. Le destin m’a joué des tours. Il m’arrive parfois de me dire que son premier mauvais coup aura été de me faire naître en Corse. Je me reprends immédiatement car cette mauvaise pensée est une capitulation ajoutée au reniement.

 

 

 

La rose est sans pourquoi

 

Lorsque j’ai reçu le journal intime de celui qui se présente comme un méchant, j’ai enfilé des gants pour ne pas brouiller toutes les empreintes. Je l’ai lu d’une seule traite, je l’ai photocopié puis, incrédule, je l’ai relu avant de confier l’enveloppe et le texte dacty-lographié au  laboratoire de police scientifique.

Il ne fait aucun doute que la suite ce sera en partie à moi de l’écrire.

A première vue, j’ai trouvé suffisam- ment de ficelles pour espérer remonter jusqu’à l’expéditeur. Il me suffit de chercher dans les archives le premier meurtre qu’il aurait commis et pour lequel il aurait été déjà condamné. Je peux aussi tenter d’identifier les lieux qu’il décrit et sa généalogie dont il fait état. Trop facile ! Je dois m’attendre à ne trouver que de fausses pistes, à perdre mon temps à courir là où il compte m’envoyer. Ce journal intime est bidonné. J’en ai la conviction. Aucune lettre n’accompagne l’envoi posté à Nogent-sur-Marne. Il me faut pourtant faire mon métier de flic et fermer les portes qu’il m’a grandes ouvertes. Tout cela sent le coup fourré.

 

Tamo ! Samo !

 

Le Flicorse venait de passer une période difficile. Il avait l’impression que tout se liguait contre lui, même les objets. Si un obstacle se présentait devant ses pieds, il se cognait dedans au risque de se rompre le cou. Lorsqu’il revêtit sa tenue de commissaire de police, fraîchement promu, pour une cérémonie dans la cour de la Préfecture de police, il fut le seul à être atteint par le tir de fiente d’un pigeon bombardier. Chaque matin en se levant, il enchaînait les catastrophes domestiques. Il cassait les lacets de ses souliers ; il laissait déborder la casserole de lait sur la plaque électrique ; les biscottes se brisaient dans ses mains au moment où il essayait d’y mettre la dernière touche de confiture ; il se cognait le haut du crâne contre la porte restée ouverte d’un placard haut ; le pire ce fut le jour où la bouteille d’huile d’olive lui glissa de sa main gauche alors qu’il l’avait écartée pour récupérer, de sa main droite, le paquet de café placé juste derrière. Dans sa vie familiale, cela n’allait pas mieux. Angèle prenait de travers tout ce qu'il disait ou alors il ne savait plus trouver les mots pour lui parler. Son fils Julien ne lui répondait plus que par des grognements ou des gestes d'impatience. Du côté professionnel, il avait terminé péniblement sa dernière enquête à la Brigade financière. Il avait accumulé les gaffes, maladresses qui l’avaient meurtri dans son amour propre. Serait-il devenu une sorte de Jack Palmer ? Il se voyait empêtré dans un imperméable trop long et affublé du ridicule chapeau de ce détective de bandes dessinées. Ainsi, ne lui restait-il même pas son travail pour se dire qu’il n’était pas un être que la fatalité s'évertuait à briser puis à soumettre. Il avala sans plaisir le fond de Vodka qu’il s’était versé. En buvant la dernière goutte du symbole de la grandeur et de la décadence russe, avec le chaud aux tripes, il lui revint une maxime de René Char : “Pour lutter contre la fatalité, il n’y a que la résistance à la fatalité”. Pour retrouver sa sérénité, il décida de s'offrir une parenthèse hivernale avant de quitter la Brigade financière et prendre sa  première affectation de commissaire de police à la Brigade criminelle.

 

Loin du tumulte de l'été, dans son village, Evisa, l'âme de la Corse pouvait vraiment s'exalter. Il savait que, à peine le pied posé sur l'île, il n'était plus le même. L'hiver, la Corse retrouve toute sa vertu, au sens spinozien du terme. Elle développe sa puissance d'exister, renoue avec les passions, avec les lois de sa propre nature, avec son insularité. Rien n'est plus nécessaire aux Corses que leur bout de terre où le présent communique avec le passé, les jeunes avec les vieux, les vivants avec les morts. Ces liens ténus se sont tissés à travers une culture nourrie aussi de croyances irrationnelles. Chaque Corse, même le plus cartésien, entretient un dialogue intérieur passionnel avec sa terre et le cimetière peuplé de sa mémoire. Une promotion, le Corse va l'annoncer sur les tombes de ses ancêtres. En Corse, les morts font partie de la spiritualité des vivants. Ils existent. Pour respecter une tradition appelée le “Cunfocu”, on leur dresse une table une fois par an. Et même, de mauvaises langues disent qu'ils votent aux élections.

C'est cette corsitude, ce sens du “sacré”, cette sensibilité à fleur de peau et cette part cachée de mystère qui permettront peut-être un jour au Flicorse de résoudre une enquête difficile…

L'Ajaccienne

 

    Partie de Marseille, la BMW filait sur un ruban grisâtre  d’infinie mélancolie. C’était à peine si l’on apercevait, de  loin en loin, un toit, un clocher ou, plus souvent, aux  abords des grandes villes, un de ces vestiges du modernisme, un building. Cette autoroute bitumée, Mathieu Difrade la connaissait bien pour l’avoir parcourue dans les deux sens et de multiples fois. Tout y était organisé et, à intervalles réguliers, les panneaux indicateurs signalaient les sorties, les kilométrages, les stations-service où l’on pouvait boire un café et manger quelque chose ; y étaient même indiquées les spécialités des régions traversées. C’était, déjà, la fin de courtes vacances. Il venait de quitter les fruits du Midi et passer le nougat de Montélimar où il avait dit au revoir au soleil.

     Il roulait maintenant vers Paris, sous une pluie fine, pluie sans fin. Les mille soleils mouillés avortaient sur le pare-brise balayé régulièrement et régulièrement renaissants dans leur message d’espoir-désespoir. La voiture précédait les camions trapus, noirs et rouges, internationale de la consommation : Espagna, England, Deutschland…

     Enfin, un air de liberté émanait de l’autoradio à façade détachable. À côté de lui, Angèle et, sur le siège arrière, leur fils Julien s’étaient endormis. Les soleils en phares croisaient leurs phares soleils que lessivait le ciel en pleurs. Mathieu jeta un coup d’œil vers son rétroviseur. Regard en arrière, et le passé tout proche rattrapa le  Flicorse  par rétro vision. Du petit miroir, surgit un fantôme. Mathieu eut cette apparition brève d’un visage, au moment où France Informations annonçait le suicide d’une prénommée Wanda, au 16 rue Quincampois à Paris. Peut-être était-il influencé par un tag vu en passant   sur un mur de Marseille : une fille brune qui se regardait dans un miroir. Sur ce mur, il avait lu quelques phrases d’un texte émouvant : “ J’ai toujours rêvé d’être une artiste. Et puis un jour c’est arrivé sans que je m’y attende… Le film dans lequel j’ai joué, c’est ma vie ”.  Il s’agissait d’un message contre le sida.

 

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